Musée d’Art et d’Histoire (MAH)
Le Centaure et la Nymphe d’Amathonte
Centaures et centauresses Introduction par Jean Wagner, biologiste et licencié en histoire de l'art & archéologie, Paris
Les Centaures sont des associations humaine et chevaline – notons que des associations humaines et autres espèces animales que les chevaux ne sont pas des Centaures – où la partie humaine est toujours antérieure : tête, tronc et membres inférieurs. Postérieurement au corps humain, est associé un cheval dépourvu de tête et de cou. La partie antérieure peut, dans de rares cas, comme le montre cette figure, être constituée par le corps d’une femme. Le Centaure mâle, né de l’imagination de sculpteurs en Grèce archaïque représente l’écrasante majorité de ce type de mixanthrope mâle ; la représentation d’un centaure femelle – association femme et cheval, en fait jument, est nommée Centauresse, reste très exceptionnelle dans l’art plastique.
La figure ainsi décrite apparaît très simplificatrice du type Centaure grec des époques archaïques et classiques grecques qui a été utilisé par les sculpteurs.
La présence de Centauresses est éventuellement liée à la nécessité d’imaginer que les Centaures auraient peut-être été conduits à se reproduire et des figurations de Centauresses allaitantes sont connues à partir du Ier siècle avant J.-C. et concerne surtout le contexte domestique et funéraire.
Des commentateurs se sont penchés sur les modalités d’accouplement des Centaures mâles et femelles et ont proposé des explications quant au déroulement et durée de la gestation. Il va sans dire que ces assertions ne peuvent évidemment être que sans fondement.
Les Centaures représentés sur cette figure montrent une morphologie très appauvries comparée aux sculptures de Centaures qui ornent métopes et frontons des temples de Zeus à Olympie ou le Parthénon d’Athènes.
Entretien avec un expert – Laurent Gorgerat (Musée des Antiquités de Bâle et collection Ludwig)
Le centaure, entre homme et bête
Parmi les créatures hybrides les plus connues de l’Antiquité classique figurent sans doute les centaures, un mélange de cheval et d’humain. Même si de tels ‘hommes-chevaux’ étaient déjà représentés en Babylonie et en Assyrie, cependant avec la queue d’un scorpion et des ailes, la combinaison du cheval et de l’homme semble être une invention des premiers artistes grecs.
Alors que les hommes-chevaux du Proche-Orient sont généralement armés d’arcs et de flèches, les centaures grecs se battent exclusivement avec des armes primitives, comme des rochers ou des troncs d’arbre, ce qui accentue leurs traits de caractère sauvages et non civilisés. Différentes versions de l’origine des centaures circulent dans la mythologie. La plus célèbre raconte que le roi de Thessalie Ixion, enivré, aurait molesté Héra, l’épouse de Zeus. Zeus aurait alors trompé le roi sacrilège en donnant à Néphélé, la femme des nuages, les traits d’Héra. Ixion engendra avec Néphélé Kentauros, qui s’accoupla plus tard avec des juments thessaliennes, créant ainsi la race hybride des centaures.
Les premiers centaures qui nous sont parvenus montrent un être dont la partie avant est constituée d’un corps humain complet. Le corps du cheval semble attaché au bas du dos humain. La plus grande partie de ce corps se présente donc comme humaine, tandis que l’animalité n’est marquée que par la partie postérieure du cheval.
Dès le courant du 7e siècle avant J.-C., cette image de centaure assez disparate fut remplacée par une nouvelle combinaison qui s’imposa et qui allait connaître une grande diffusion. La partie humaine de l’être hybride fut dès lors réduite à la partie supérieure du corps, tandis que le corps entier du cheval, c’est-à-dire avec quatre pattes, faisait office de partie inférieure du corps.
Les centaures, qui vivaient dans les montagnes de Thessalie, apparaissaient souvent comme des créatures sauvages, agressives et sacrilèges, que l’homme civilisé devait vaincre.
Le départ de Bellérophon sur son cheval ailé Pégase
Cratère apulien représentant le départ de Bellérophon sur le cheval Pégase, Musée d’Art et d’Histoire de Genève, inv. A 2012-0001(Ville de Genève. Achat, 2011) Introduction par Dre. Doralice Fabiano (UNIGE)
Ce cratère à figures rouges du IVe siècle av. J.-C. provenant de Capoue représente sur la face A un des épisodes qui précèdent la mort de la Chimère par la main du héros Bellérophon. Ici, Bellérophon, monté sur le cheval ailé Pégase, quitte son hôte Proitos, roi de Tyrinthe. Proitos, à gauche de Bellérophon, lui confie une lettre dans laquelle il prie le roi de Lycie, Iobatès, de mettre à mort le porteur de la missive, à la suite d’une fausse accusation de viol avancée par sa femme, la reine Sthénébée. Celle-ci, représentée à gauche de la scène, regarde le départ avec une profonde tristesse. En Lycie, Iobatès ordonne à Bellérophon de tuer la terrible Chimère qui ravage la région. Bien que son nom renvoie à la seule chèvre (chimaira en grec), il s’agit d’un être hybride à trois têtes (lion, chèvre, serpent) crachant du feu. Bellérophon réussit cette entreprise grâce à sa monture ailée, de nature divine.
Selon Hésiode (Théogonie, 278-283), Pégase est né du sang de la Gorgone Méduse, décapitée par Persée, en même temps que le héros Chrysaor. Son nom, dérivé de pegé (« source d’eau »), fait référence au lieu de sa naissance, les sources du fleuve Océan, à la modalité de sa venue au monde (il « jaillit » du cou de sa mère), et à son père, le dieu Poséidon, dieu des eaux (Apollodore 2, 4, 42). C’est pour aider Bellérophon à le dompter qu’Athéna invente le mors (Pindare, Olympiques, 13).
Entretien avec une experte – Prof. Julia Langkau (UNIGE, CISA)
Pégase
Au cours de XXe siècle, les philosophes ont beaucoup réfléchi et écrit sur Pégase, mais pas vraiment sur ses caractéristiques et ses histoires : il s’agit d’un cheval ailé, fils de Poséidon et de Méduse et partout où il pose ses sabots sur terre, une fontaine d’eau fraîche jaillit. En fait, les philosophes ont plutôt réfléchi au fait que nous puissions penser et écrire sur Pégase. Après tout, il n’existe pas! Mais comment pourrions-nous peindre des tableaux et créer des sculptures de Pégase s’il n’existe pas ?
Il semble que même lorsque nous disons que Pégase n’existe pas, nous parlons tout de même de lui. Le philosophe autrichien Alexius Meinong (1853-1920) pensait que les créatures comme Pégase existaient d’une manière différente : elles « subsistaient » dans un monde abstrait. Toutefois, d’autres philosophes ont fait remarquer qu’une telle conception rendrait l’univers incroyablement surpeuplé de créatures, des dieux grecs à Frankenstein en passant par Mickey Mouse.
Peut-être que lorsque nous parlons de Pégase, nous nous contentons de prétendre ou d’imaginer que ce cheval ailé existe. Certains affirment que nous nous référons à un monde simplement possible, d’autres suggèrent que nous faisons une affirmation conditionnelle : lorsque nous parlons de Pégase, nous voulons dire que, s’il existait dans notre monde, il serait un cheval ailé.
Quel que soit l’endroit où ce cheval vole – dans un monde abstrait ou simplement dans notre imagination commune – Pégase a bien fait réfléchir les philosophes !
Persée tuant le dragon
Persée tuant le dragon de Félix Vallotton Introduction par Dre. Stéphanie-Aloysia Moretti, co-curatrice du projet:
Sans les êtres composites, les héros manqueraient d’occasions de faire preuve de leur audace et de leur vaillance. Épictète souligne ainsi qu’Héraclès serait resté un illustre inconnu s’il n’avait pu se mesurer à une série de créatures fantastiques, ce qui lui a permis de forger une renommée qui perdure jusqu’à nous.
Dans la mythologie, pour qu’un jeune homme puisse démontrer sa bravoure et accéder au statut de héros, il doit affronter courageusement un adversaire redoutable. C’est exactement ce que Persée réalise en s’attaquant au dragon qui menace la jeune Andromède.
Cependant, en 1910, Félix Vallotton revisite ce mythe avec une approche audacieuse et novatrice. Dans son tableau, le dragon se transforme en un crocodile, et Persée se retrouve sans son fidèle Pégase, le cheval ailé. Bien que nus, Persée et Andromède incarnent les idéaux du début du XXe siècle : le chignon de la jeune femme et la moustache du jeune homme sont des symboles indéniables de leur époque.
Cette transposition de l’action révèle une absence totale de l’aspect héroïque mythologique. Nous assistons à une scène bourgeoise où l’homme, dans un élan de virilité, se bat avec un crocodile hilare. Vallotton cherche ainsi à se démarquer de l’académisme de son temps, proposant une vision décalée et provocante de la mythologie.
L’artiste, souvent mal compris, est décrit par André Salomon comme un novateur dont le “satanisme” s’accroît chaque année. Salomon écrit : « Naguère, il épiait la laideur pour la saisir au passage ; aujourd’hui, il la crée arbitrairement, instaurant le plus faux et le plus fâcheux académisme. »
Une belle représentation d’un Pégase de 1930, se trouve sur la façade de la gare de Cornavin.
Entretien avec une experte – Prof. Julia Langkau (UNIGE, CISA)
Dragon-crocodile
Selon le mythe, Persée libère Andromède, qui est enchaînée aux rochers et attend d’être dévorée par un monstre marin. Cette scène a été représentée par de nombreux artistes renommés, comme le peintre de la Renaissance Tiziano Vecellio. Dans la version de Félix Vallotton, cependant, certains détails surprennent le spectateur.
Le dragon marin a été remplacé par un crocodile, et bien qu’Andromède semble effrayée, elle n’est pas enchaînée. Le corps de Persée est étendu dans une posture exagérée. Les deux personnages sont nus, et le crocodile semble jouer avec l’arme de Persée. Sourit-il même ? Il ne fait aucun doute qu’il y a un ton ironique à cette œuvre.
Bien que nous reconnaissions la peur d’Andromède, ou du moins son inconfort, nous percevons aussi dans cette scène une certaine ironie – au lieu d’y voir l’horreur véritable que cette situation évoquerait si elle se produisait dans la réalité. Ce détachement ironique pourrait être causé par le fait que nous sommes habitués à une certaine grandiosité et une romantisation dans les représentations de ce mythe. Le public contemporain de Vallotton y a vu un scandale.
Quel rôle l’art joue-t-il dans la formation de nos émotions ? La manière dont une scène est présentée a une énorme influence. Au lieu de nous transmettre le même sentiment d’horreur que nous éprouverions dans la vie réelle, l’art peut nous faire nous sentir exaltés. Dans notre cas, à travers la peinture de Vallotton, nous sommes amenés à regarder Persée avec ironie plutôt qu’avec une admiration attendue. Le crocodile ne se moquerait-il pas du monstre marin ?
Nous pouvons être amusés, mais le public contemporain de Vallotton était outré. Évoquer des émotions de toutes sortes est le pouvoir de l’art !
Period room
Chimères Introduction par Philippe Clerc, vice-président de la Société des Amis du MAH
Institution aux collections multiples, le Musée d’art et d’histoire regorge de chimères ; si certaines s’exposent, la grande majorité se cache, poussant le visiteur à entreprendre un vrai jeu de piste au travers des salles. Quant à celles qui reposent dans le secret des réserves, elles attendent patiemment que leur tour vienne et qu’une exposition les ramène à la lumière.
Des vestiges de la plus lointaine Antiquité aux peintures d’artistes du XXIe siècle, en passant par l’horlogerie et la ferronnerie d’art, les chimères sont partout. Quel lien existe-t-il entre la stèle de Ioui, sculptée en Égypte à la fin de la XVIIIe dynastie, un casque pointu du Nord de l’Italie (vers 1570-1590), la rampe d’escalier issue de l’atelier Wanner & Cie (vers 1896) et La Chimère du Paradis d’Alexandre Trifu (2015). Leur caractère onirique ou celui de leur décor qui prête au rêve, à l’imagination, parfois même à la peur tant l’aspect composite de ces créatures peut intriguer. Depuis sa création, le musée s’est enrichi de milliers d’œuvres et d’objets.
Entretien avec une experte – Isabelle Burkhalter (MAH)
Les créatures de period room
Vous vous trouvez dans une enfilade de chambres historiques dont les boiseries et les poêles de faïences ornaient le Château de Zizers dans les Grisons, construit à la fin du XVIIe siècle par Rudolf von Salis, un militaire de carrière au service du Roi de France Louis XIV. Plusieurs créatures hybrides et fantastiques s’y cachent…
Inauguré en 1910, à une époque où il était à la mode d’exposer mobilier et objets d’art dans un décor qu’il leur correspondaient chronologiquement et esthétiquement, le MAH possède plusieurs de ces period room. Celles de Zizers ont été acquises par la Société auxiliaire du musée en 1897, alors que le Musée d’art et d’histoire n’était encore qu’à l’état de projet, à la fois pour souscrire à cette mode et pour enrichir le volet helvétique de la collection.
Les deux poêles à tour en faïence polychrome, ornés de scènes militaires, au carrefour de la technique, du confort et de l’art, ont été réalisés à Winterthur dans la célèbre manufacture Pfau.
Observez leurs pieds, ornés de mascarons tous différents : visages plus ou moins humains ou léonins semblent naître des feuilles d’acanthes. Ce mélange fantasque d’éléments humain, animal ou végétal, les rattachent au grotesque, ce style ornemental très en vogue aux XVI et XVIIe siècles, inspiré par le décor de la Domus Aurea, propriété de Néron, redécouverte à la fin du XVe siècle à Rome. Entre les deux salles aux pôles à tour, se trouve la salle dite peinte, par opposition aux autres dont les boiseries sont sculptées. Deux superbes griffons se font face relevant d’une esthétique similaire.
Sarcophage romain
Chimère Introduction par Prof. Georges Vigarello (EHESS)
La chimère c’est ce que nous poursuivons interminablement sans jamais pouvoir la saisir.
C’est ce qui nous déçoit aussi, une fois gagnés par l’illusion qui peut l’habiter.
C’est ce dont nous avons impérativement besoin en revanche :
Seule condition pour aller au-delà de nous-mêmes.
Entretien avec une experte – Isabelle Burkhalter (MAH)
Centaures marins et lions ailés cornus
Ce monumental sarcophage de marbre de Marmara réalisé à Rome vers 300 de notre ère, est peuplé de créatures hybrides sur le couvercle et les côtés de la cuve. Elles cohabitent avec la représentation des deux bergers barbus accompagnés de moutons et d’un chien, encadrant la face principale creusée de grandes rayures en forme de S ou strigiles. Au centre, Eros et Psyché – L’Amour et l’Esprit – s’enlacent.
Observons d’abord le couvercle, sans doute légèrement plus ancien que la cuve. Un cortège de créatures marines s’y déploie : des dauphins mais aussi des centaures marins. Ces créatures combinent l’avant du corps d’un centaure terrestre, soit un corps d’homme et des pattes de cheval, mais univers aquatique oblige, ont l’arrière du corps en queue de poisson. À leur cou s’accrochent des Amours, ces garçonnets joufflus et ailés. La combinaison de ses créatures forme un thiase marin, un cortège symbole du passage dans l’au-delà.
Sur les côtés de la cuve, semblant veiller sur le défunt pour l’éternité, se trouvent d’un côté une lionne, de l’autre un lion, mais dotés d’ailes et de cornes. Ils sont accroupis près d’un arbre qui débordent sur le devant dans la scène des bergers, liant le décor latéral et celui de la façade. Des créatures sans doute psychopompes, qui comme le cortège du couvercle guide les âmes du monde des vivants à celui des morts.
Chimère de fer
Entretien avec une experte – Isabelle Burkhalter (MAH)
Chimère de fer
Dans cette salle consacrée à la ferronnerie d’art au tournant du XXe siècle récemment aménagée, un départ de rampe d’escalier spectaculaire nous permet de rencontrer une impressionnante chimère. Ses pattes aux serres recourbées et ses ailes aux plumes finement travaillées évoquent les rapaces. Toutefois, le cou et le corps serpentins, la tête de dragon, les crocs félins et les éléments végétaux -comme la feuille d’acanthe sur la tête et la queue à feuille terminale- montrent une hybridité variée.
Inspiré par le dessinateur Charles Muller, cet animal fantastique a pris vie sous les coups de marteaux des forgerons de la maison Wanner. Il avait été présenté sur le stand de cette entreprise genevoise née au milieu du XIXe siècle, située dans le quartier des Eaux-Vives, lors de l’Exposition nationale suisse de 1896 qui se tenait à Genève. Elle avait alors été très remarquée ! Il faut dire qu’elle rappelait les chimères sorties des mêmes ateliers, ornant les réverbères du pont de la Coulouvrenière sur lequel les tramways venant depuis la gare Cornavin déposer le public sur le site de l’exposition circulaient. Celle-ci occupait en effet le quartier de Plainpalais-Jonction qui porte encore des traces de l’événement dans le nom de ses rues comme la rue du Village suisse.
L’exposition nationale avait relancé à Genève la volonté de construire un grand musée central et vu naître l’année d’après la Société auxiliaire pour la construction du musée pour mettre en œuvre le projet. C’est cette dernière qui fit l’acquisition de ce départ de rampe auprès de la maison Wanner, et elle trouve naturellement sa place dans la salle des métaux ouvrés en 1910 à l’ouverture du MAH.
Sekhmet
La déesse Sekhmet Introduction par Dre. Noémie Monbaron (MAH)
La statue du Musée d’art et d’histoire fait partie de ces statues colossales d’Amenhotep III. L’épithète de Sekhmet présente sur cet exemplaire est sans équivalent connu : « celle qui voit les corps ». La déesse est assise sur un trône, tenant la croix de la vie dans sa main droite. Elle est représentée comme une femme au visage de lionne, coiffée du disque solaire protégé par l’uræus. Il s’agit de son iconographie typique, laquelle renvoie à sa nature violente et solaire. Cet exemplaire a été déposé au Musée d’art et d’histoire par la Confédération helvétique. Elle fut offerte en 1972 à la Suisse par la République Arabe d’Égypte, en reconnaissance de la contribution de la Suisse au sauvetage des monuments de Nubie lors de la construction du barrage d’Assouan.
Entretien avec une experte – Dre. Noémie Monbaron (MAH)
Sekhmet
La déesse Sekhmet est l’une des divinités égyptiennes les plus célèbres. Elle était vénérée plus particulièrement à Memphis, où elle régnait avec Ptah et leur fils Nefertoum. Elle est néanmoins surtout connue comme la plus féroce des déesses dites dangereuses. Son nom signifie « la puissante ». Elle incarne l’œil de Rê, une des manifestations du soleil qui symbolise l’aspect puissant et destructif de cet astre. Un mythe raconte que le dieu Rê envoya la déesse sur terre pour massacrer l’humanité qui s’était rebellée contre lui. Elle déchaîna alors sa furie sur les hommes et, enivrée du sang de ses victimes, effectua un tel carnage que Rê se ravisa. Il déversa alors 7000 jarres de bière rouge devant la déesse qui la confondit avec le sang. Ivre d’alcool, elle tomba enfin dans un profond sommeil.
La déesse inspirait une réelle terreur à tous les hommes. Elle était particulièrement redoutée lors des changements de cycles naturels (crue du Nil, Nouvel An, etc.), des moments de transition où elle pouvait alors manifester sa puissance et répandre de nombreuses maladies en envoyant ses messagers et ses flèches. Ses prêtres, experts à apaiser les fureurs de la déesse, agissaient d’ailleurs aussi comme médecins. Pour éviter ses colères, ils l’apaisaient par des libations et divers rituels magiques, en conjurant notamment les nombreux noms de la déesse avec des litanies, comme en atteste le Rituel pour apaiser Sekhmet.
Le roi Amenhotep III (14e siècle avant notre ère) fit ériger dans l’enceinte de son temple funéraire plus de six cents statues colossales de Sekhmet, chacune inscrite avec une appellation différente de la déesse. Âgé et malade, ou peut-être aussi soucieux de préserver son peuple d’une grande épidémie de peste, il espérait ainsi apaiser la déesse en lui offrant une litanie monumentale en pierre. Chaque nom renvoie à un aspect différent de la déesse, qu’il soit géographique, mythique, funéraire ou syncrétiste.
Anubis
Le Dieu Anubis Introduction par Dre. Noémie Monbaron (MAH)
Le Musée d’art et d’histoire conserve deux parois de coffret à figurines funéraires au nom d’un scribe nommé Amenemheb, acquises séparément (Nos inv. MAH 19297 et A 1998-110). Le style, la composition et les inscriptions montrent toutefois qu’ils proviennent d’un même coffret. Celui-ci devait contenir à l’origine des figurines funéraires, appelées shaouabtis, qui ont l’aspect de petites momies et servent de substituts au défunt. Le coffret présente le décor typique des coffrets de la fin du Nouvel Empire (env. 12e– 11e siècle avant notre ère) avec le défunt en adoration devant des divinités funéraires.
Entretien avec une experte – Dre. Noémie Monbaron (MAH)
Coffret funéraire
Les inscriptions hiéroglyphiques de ce coffret nous indiquent que le défunt s’appelait Amenemheb et qu’il était surnommé Pahemnetjer ; elles nous informent également qu’il était scribe du grenier (sur cette paroi) et scribe de l’offrande divine (sur l’autre paroi). Amenemheb est représenté vêtu d’une ample tunique et d’un pagne plissé, paré d’un collier-ousekh et de bracelets. Sur cette paroi, il a le crâne rasé, alors que sur l’autre paroi, il porte une perruque mi-longue. Il se tient debout devant une table d’offrandes, les bras levés dans un geste d’adoration destiné aux divinités face à lui : Anubis, le dieu à tête de chacal, et la déesse Nephthys sur cette paroi, le dieu Osiris et la déesse Isis sur l’autre paroi.
Anubis est représenté assis sur un trône ; il est coiffé du pschent, la couronne de Haute et Basse Égypte, et tient de sa main droite le sceptre-ouas. Nephthys se tient debout derrière lui, la main droite levée et la main gauche le long du corps, tenant la croix-ânkh de la vie. Elle est vêtue d’une longue robe fuseau et coiffée de la couronne dite hathorique (le disque solaire entouré de cornes de vache), ainsi que d’un bandeau rouge sur lequel s’accroche le serpent uræus.
Osiris est représenté momiforme, assis sur son trône, les mains ramenées sur la poitrine, tenant le sceptre-heqa et le flagellum-nekhakha. Il porte la couronne-atef (la couronne blanche encadrée de deux plumes). La déesse Isis se tient debout derrière lui, les ailes étendues autour de son époux en guise de protection ; elle est vêtue d’une longue robe fuseau ; sa couronne n’est pas conservée, mais il reste des traces du bandeau rouge.
Osiris et Anubis sont les deux divinités funéraires masculines par excellence. Le premier est le dieu des morts, puisqu’il est, lui-même, le premier dieu mort (assassiné pas son frère Seth) ; le second est le dieu de la momification, ayant procédé à la première momification sur Osiris ; il est également le gardien de la nécropole, à l’instar des canidés (chacals ou chiens noirs) dont il prend l’apparence. Isis et Nephthys, les deux sœurs, jouent également un rôle essentiel de protectrices, étant donné que c’est la magicienne Isis qui ressuscita son époux Osiris, avec l’aide de sa sœur. Leur présence assure la résurrection d’Osiris – et par la même celle du défunt.