Musée International de la Réforme (MIR)
Bestiaire fantastique au musée de la Réforme Introduction par Dre. Stéphanie-Aloysia Moretti, co-curatrice du projet
Le musée de la Réforme recèle et expose un très large éventail de créatures composites. En effet, les ouvrages sur les thèmes religieux, qui étaient, ne l’oublions pas, l’écrasante majorité des livres avant la Renaissance, étaient agrémentés de textes illustrés d’une riche iconographie.
Tout comme sur les chapiteaux des colonnes de la cathédrale Saint-Pierre ou de l’église de Saint-Gervais, dans ces ouvrages, les marginalia et les lettres majuscules étaient fréquemment habitées, c’est-à-dire qu’elles recelaient des êtres fantastiques. Entre ornement esthétique et message théologique, ces créatures étranges relèvent du bestiaire fantastique.
Il importe néanmoins de souligner que, avant les grandes découvertes, la limite entre animaux exotiques et fantastiques était très fluide et sujette à interprétation. En effet, si depuis les Étrusques (VIIIe siècle avant notre ère), nous trouvons en Italie de nombreuses représentations de lions sur les vases ou les bijoux, pratiquement aucun des artisans qui les ont représentés n’en avait jamais vu. Dès lors il était difficile de déterminer qu’un lion était un animal réel alors qu’un centaure ne l’était pas, les textes parlant de ces deux typologies de créatures de la même manière, disant qu’elles vivaient aux confins du monde connu, en Orient.
Relevons que cette difficulté à représenter des créatures peu familières a duré très longtemps : Albrecht Dürer (1471-1528) a recueilli le témoignage d’une personne qui avait vu un rhinocéros et s’est donc basé sur une interprétation de deuxième main pour le dessiner.
Furie terrassant Calvin, Luther et Bèze
Chimère Introduction par Giovanni Polito, aumonier catholique à l'UNIL-EPFL
La chimère, me rappelle un discours de saint Augustin (le 306) dans lequel il affirme que tout homme cherche le bonheur, mais que souvent on se trompe et on le cherche là où il n’est pas. Voici une petite phrase extraite du long discours de saint Augustin sur le bonheur : « Si nous cherchons la vie heureuse dans les réalités terrestres, je ne sais pas si nous pouvons l’y trouver ; non parce que nous cherchons quelque chose de mal, mais parce que nous ne le cherchons pas là où il se trouve. »
Le bonheur, l’expérience d’une vraie paix, n’est souvent pas là où les apparences nous font croire, mais il est engendré en nous, par exemple, par la fidélité à l’amour.
Entretien avec un expert – Gabriel de Montmollin (MIR)
Cette caricature catholique montre une furie, créature mythologique infernale chargée de punir les méchants, menaçant de sa torche enflammée trois réformateurs. Elle est ceinte d’une vipère. Elle tient en laisse Calvin, Luther et Bèze, regroupés sous l’apparence d’un monstre semi-humain à corps de reptile. Il s’agit indubitablement d’une allusion mythologique à l’hydre de Lerne, ce serpent affronté par Hercule et dont les têtes repoussaient toujours plus nombreuses après chaque décapitation.
La chimère est contemporaine de l’hydre de Lerne. Elles appartiennent à la même famille mythologique de figures hybrides auxquelles on peut ajouter celle du chien Cerbère. Quant à la furie, c’est une déesse antique de la vengeance qui tente ici de museler des figures réformatrices qui ont dérangé l’ordre établi. Mais aucune ressemblance confirme l’origine antiprotestante du dessin.
Quant à l’orthographe du nom des trois réformateurs, elle est pour le moins fantaisiste. On a l’impression que la qualification originelle du dessin était toute différente. Son nouvel interprète a voulu sans doute greffer une thématique chrétienne sur un terreau mythologique, un essai aussi hasardeux que vouloir, par exemple, imaginer l’existence d’un lion sur le dos duquel on aurait greffé une tête de chèvre.
Aller plus loin
Les sorceleries de Henry de Valois
La sirène Introduction par Dre. Coralie Debracque, co-curatrice du projet
La sirène qui illustre l’œuvre de Henry de Valois symbolise la séduction, la sorcellerie et satan. Bien loin de l’univers du diable, il existe cependant des sirènes bien plus pacifiques: les dugongs!
Le Dugong dugon est un mammifère marin herbivore de l’ordre des Sirenia. Comme le lamantin, il est le dernier représentant des sirènes vivantes sur terre. Comme les sirènes des légendes, le dugong “chante”, il semblerait même qu’il ait un répertoire vocal qui évoluent tout au long de sa vie.
Ce Sirenia utilise en effet des vocalisations pour communiquer avec ces congénères. C’est notamment le cas dans les dyades mères – nouveaux-nés. Nous sommes donc très loin de la sirène fatale qui appellerait les hommes pour les séduire!
Référence :
Ichikawa, K., Akamatsu, T., Adulyanukosol, K., Damiani, G., Lanyon, J., & Nawata, H. (2012). Intraspecific variation in vocal repertoire among dugong populations. The Journal of the Acoustical Society of America, 131(4_Supplement), 3456.
Entretien avec un expert – Gabriel de Montmollin (MIR)
Cette œuvre propagandiste accuse Henri III et ses mignons de se livrer à la sorcellerie et de faire des offrandes au diable dans les bois de Vincennes. Rédigé et imprimé quelques semaines à peine avant l’assassinat du roi, ce texte s’inscrit, en 1589, dans le contexte d’une importante production littéraire ultra-catholique et revancharde. Ici, tout argument est bon pour renverser le dernier représentant de la dynastie des Valois, commanditaire du double assassinat des chefs de la Sainte Ligue, Louis et Henri de Guise.
Le dessin imprimé sur la page de titre est une sirène. Cette figure hybride aussi célèbre si ce n’est plus que la chimère. Elle symbolise la séduction fatale. Au XVI siècle, Me too n’a pas encore fait surface. L’Odyssée raconte qu’Ulysse fut attaché au mat de son navire pour l’empêcher de succomber au chant des sirènes et de se précipiter à leur suite dans les abysses. A l’origine, c’est une femme pourvue d’ailes, ce que laisse deviner le dessin qui ajoute également une queue de poisson traditionnelle au corps de la femme. Le miroir est une vraisemblable allusion à Vénus. L’illustration annonce la couleur du pamphlet. Henry III pratique la sorcellerie sous l’emprise de Satan, personnage hybride par excellence dont cette sirène paraît être l’entremetteuse.
Aller plus loin
Entrée de Luther et Calvin aux enfers
Entretien avec un expert – Gabriel de Montmollin (MIR)
Ces deux tableaux sont réalisés en Angleterre au cours d’une phase mouvementée durant laquelle les catholiques tentent de regagner du terrain à la cour sur les protestants. La représentation des deux ténors de la Réforme conduits en enfer s’inspire de l’œuvre de Jérôme Bosch et de son univers fantastique peuplé de créatures infernales nées de croyances superstitieuses, celles-là même contre lesquelles s’élève le protestantisme.
Si la chimère symbolise l’hybridation de deux ou plusieurs êtres vivants entre eux, alors elle élargit ici le spectre de ses combinaisons en associant le matériel à l’organique. Sur l’un des tableaux, Jean Calvin atteint la bouche de l’enfer dessinée sur la partie inférieure d’un visage gigantesque. Alors qu’un ours s’exerce au tir à l’arc, un rat sur trois pattes portant béret orange et tunique bleue s’en approche, tirant le Réformateur juché sur le squelette renversé à deux roues d’une sorte d’oiseau-reptile. A deux pas, un poisson métallique en forme de canonnière expulse bouche ouverte un feu violent.
Luther n’est pas en reste. Il est lui aussi entraîné sur un même oiseau reptile que Calvin, mais cette fois vivant, à l’endroit, et également vers une bouche jumelle de l’enfer. Moins de chimères hybrides, mais quand même, dans un paysage en clair-obscur, une sorcière sur son ballet, un lapin qui joue de la flûte et un rat portant béret orange, sur le point de trinquer à sa victoire aux cartes ou récompensé par le diable pour la livraison de ces deux dignitaires protestants. On aperçoit ce dernier, fort satisfait, assis à quelques étincelles de son Royaume.
Pape d’enfer
Entretien avec un expert – Gabriel de Montmollin (MIR)
Sous les traits de ce monstre hideux pourrait être représenté Jules III, élu pape en 1550 et qui fut surnommé par les protestants « Pape d’Enfer » à cause de sa ferme volonté de combattre la Réforme. Cette caricature figurait au verso d’un placard (une affiche polémique), et son auteur promet malheur au pape :
« Monstre Infernal, / Tu as fait un mal, / Qui tant te nuira ».
De nombreux catholiques étaient cependant eux aussi scandalisés par ce pape plus préoccupé de ses plaisirs que de son Église.
Ses attributs sont diaboliques et connotent ses accoutrements pontificaux : les cornes, reprises de la figure du dieu Pan, s’enroulent des deux côtés d’un visage défiguré par des crocs. Elles prolongent, dressées, une crosse papale où est accrochée une corde de pendu. Il a semblé utile au caricaturiste de chausser le pape d’une paire de pantoufles ornée de deux croix explicites, pour rappeler le lointain modèle.
L’aspect chimérique, hybride, du personnage lui est ajouté par ce deuxième visage qui lui tient lieu de torse. L’allusion à Pline l’Ancien paraît possible. Dans son Histoire naturelle, l’Écrivain romain rapporte que « les Blemmyes (situés près de l’Éthiopie), ont la bouche et les yeux fixés sur la poitrine ». Mais rebelotte : ce deuxième visage est aussi satanique que l’autre.
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