Associer un son à l’objet qu’il désigne
Une équipe de l’Université de Neuchâtel a étudié la capacité d’associer un nouveau son, au milieu d’un environnement bruyant mais familier, à un objet. Cette faculté cognitive d’association rapide est attestée chez les humains, ainsi que chez des animaux domestiqués comme des chats et des chiens. La présente recherche montre que ni le gorille, ni l’orang-outan, pourtant des primates comme nous, ne font usage de cette capacité appelée « fast mapping ». Ces résultats, obtenus dans le cadre du PRN Evolving Language, sont publiés dans la revue spécialisée Animal Cognition.
Par l’Université de Neuchâtel.
Les chiens et les chats, tout comme les humains, sont capables d’associer rapidement un son à un objet.
Le concept de « fast mapping » décrit la capacité d’associer rapidement un nouveau son à un objet de manière implicite. Si l’on dit : « Oh ! une pomme roule sur cette table », et que le sujet à qui s’adresse cette phrase n’a jamais vu de pomme auparavant, il en déduira rapidement que la chose qui roule est une pomme. Pour cette étude, il s’agissait d’observer si les sujets – les humains et les deux espèces de grands singes – allaient associer un son particulier, émis dans un brouhaha familier, à un objet situé dans un décor. Et si oui, à quelle vitesse.
Fruits exotiques
Les objets étaient constitués de quatre images de fruits exotiques peu connus, photographiés sur quatre fonds naturels différents (rochers, feuilles, terre, herbe), comme cela pourrait se produire dans la vie réelle. « Nous avons choisi des fruits exotiques afin de maintenir l’intérêt des singes et de minimiser le risque que les humains connaissent déjà le nom de ces fruits », indique-t-on dans l’article scientifique. Pour éviter ce dernier biais, les noms donnés aux fruits étaient des vocables créés de toutes pièces, des pseudo-mots inspirés du français et du suisse-allemand.
Vient alors la première étape de l’expérience proprement dite : il s’agit de faire apprendre par « fast mapping » aux singes et aux humains à quel pseudo-mot chaque image est associée. « Lors de cette phase d’apprentissage, on montre l’objet accompagné de ‘son’ pseudo-mot joué trois fois », explique Dahliane Labertonière, principale co-auteure de l’article scientifique, alors qu’elle était en poste au Centre des sciences cognitives de l’Université de Neuchâtel.
Suivi oculaire
Au moment du test, deux objets apparaissent, répondant chacun à un pseudo-mot qui aura été au préalable appris par les sujets si le « fast mapping » a fonctionné. Un seul pseudo-mot est alors joué, celui associé à l’objet cible. Un suivi oculaire (eye tracking) du sujet permet de mesurer la durée et le lieu où le regard s’attarde. « On s’attend donc à une augmentation de la durée du regard vers l’objet cible à ce moment-là, ce qui s’est vérifié sur les humains, mais pas chez les gorilles, ni chez l’orang-outan », indique la chercheuse. « C’est la première fois à notre connaissance qu’une expérience suggère que des grands singes ne montrent aucun signe de cette capacité, contrairement aux chats ou aux chiens. »
Comment dès lors expliquer ces différences de sensibilité au « fast mapping » ? « Chez les espèces domestiquées, pouvoir rapidement associer un mot à un objet pourrait représenter un avantage et une utilité pour l’espèce en question. » Cette utilité se voit par exemple quand des chiens ou des chats interagissent avec des humains en jouant avec des objets comme une balle ou une pelote de laine, des objets que ces animaux doivent rapidement identifier s’ils veulent poursuivre l’interaction.
Résultats à confirmer
Les grands singes en revanche restent des animaux sauvages et n’auraient peut-être tout simplement pas besoin de cette capacité. « Dans leur milieu naturel, il n’est probablement pas nécessaire (pour leur survie) de pouvoir rapidement associer des sons à de la nourriture », avance la chercheuse dont les travaux font suite à une thèse de doctorat réalisée à la fois au Laboratoire de cognition comparée et à l’Institut des sciences logopédiques. « Cela pourrait être différent si on s’intéressait à la capacité d’associer un son spécifique à un danger par exemple, comme le mentionnent des études scientifiques sur les cris d’alarme chez les primates », suggère encore Dahliane Labertonière.
L’équipe scientifique tient à relever les limitations de sa recherche, qui nécessite d’être approfondie et confirmée. Citons le petit nombre de sujets testés qui restreint la généralisation statistique des résultats : cinq personnes, quatre gorilles et un orang-outan. Ou encore la difficulté pour les sujets à rester concentrés sur la tâche, surtout pour les grands singes, ce qui limitait l’apprentissage de nouvelles associations son-objet.
