Les chimpanzés combinent les vocalisations pour communiquer des nouveaux sens
De manière similaire aux humains, les chimpanzés combinent des vocalisations en structures communicatives porteuses de sens. Des chercheurs du NCCR Evolving Language et leurs collègues suggèrent que cette capacité pourrait être évolutivement plus ancienne qu’on ne le pense.
Images: © Adrian Soldati
Une caractéristique clé du langage humain est notre capacité à combiner des mots en phrases dites compositionnelles, c’est-à-dire pour lesquelles le sens de la structure est lié aux sens des unités la composant. Les origines évolutives de cette capacité sont cependant encore peu connues.
Les chimpanzés, nos plus proches cousins, sont connus pour produire de nombreuses vocalisations, qui leur permettent de naviguer leur vies complexes socialement et écologiquement. Dans certaines circonstances, ils peuvent également combiner ces cris en séquences. En réalisant des expériences contrôlées sur des chimpanzés sauvages en Ouganda, des chercheurs du NCCR Evolving Language basés à l’Université de Zurich (UZH) ont pu montrer que ces combinaisons sont comprises par les chimpanzés.
Les chimpanzés réagissent plus fortement à des combinaisons de vocalisations
“Les chimpanzés produisent des ‘alarm-huus’ lorsqu’ils sont surpris et des ‘waa-barks’ lorsqu’ils recrutent potentiellement des congénères durant une agression ou une chasse”, raconte Maël Leroux, le chercheur post-doctorant au département de Science Comparative du Langage, UZH, qui a mené cette étude. “Nos observations comportementales suggèrent que les chimpanzés combinent ces vocalisations lorsqu’ils sont exposés à un danger pour lequel recruter des membres du groupe peut présenter un avantage, comme par exemple lorsqu’ils rencontrent un serpent. Mais, jusqu’à présent, des vérifications expérimentales permettant de confirmer cela étaient manquantes.”
Les chercheurs ont présenté des modèles de serpents aux chimpanzés et ont ainsi pu induire la production ces combinaisons de vocalisations. De plus, les chimpanzés ont répondu plus fortement aux repasses des combinaisons comparées à celles d”alarm-huu’ ou ‘waa-bark’ seuls. “C’est logique car une menace qui nécessite un recrutement est un événement urgent et cela suggère que les chimpanzés qui entendent cette structure combinent bien le sens des deux vocalisations individuelles,” commente le dernier auteur de l’étude et professeur à l’UZH Simon Townsend.
Les racines de la compositionnalité au sein des primates
Ces nouvelles découvertes ont des implications importantes quant aux potentielles origines évolutives de la syntaxe et de la compositionalité chez le langage humain. “Le dernier ancêtre commun aux humains et aux chimpanzés date d’il y a environ 6 million d’années. Nos données indiquent donc que la capacité à combiner des vocalisations porteuses de sens date potentiellement d’il y a 6 millions d’années, si ce n’est pas plus,” dit Townsend. “Ces données nous donnent un aperçu intriguant sur l’émergence évolutive du langage,” conclut Leroux. En résumé, cela indique que la compositionnalité serait apparue avant le langage lui-même, même si des travaux observationnels et expérimentaux, idéalement chez d’autres espèces de grands singes, seront essentiels pour confirmer cela.
Référence
Maël Leroux et al. Call combinations and compositional processing in wild chimpanzees. Nature Communications, 04 April 2023. Doi: 10.1038/s41467-023-37816-y.