Décoder le langage intérieur pour traiter les troubles de la parole
Et s’il était possible de décoder le langage interne d’individus privés de la possibilité de s’exprimer ? Tel est l’objectif d’une équipe de neuroscientifiques de l’Université de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Après plus de quatre ans de recherche, ils sont parvenus à identifier des signaux neuronaux prometteurs pour capter nos monologues internes. Ils ont également pu identifier les zones du cerveau à observer en priorité pour tenter de les décrypter à l’avenir. Cette étude, qui s’inscrit dans le cadre du Pôle de recherche national (PRN) Evolving Language, ouvre de nouvelles perspectives pour le développement d’interfaces destinées aux personnes souffrant d’aphasie. Les résultats sont publiés dans la revue Nature Communications.

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Dr. Timothée Proix
Scientific collaborator
Department of Basic Neuroscience
Faculty of Medicine
+41 22 379 08 91
timothee.proix@unige.ch
Lorsque l’être humain parle, différentes régions de son cerveau doivent être activées. Or, le fonctionnement de ces régions peut être sérieusement altéré après une atteinte du système nerveux. Par exemple, la sclérose latérale amyotrophique (ou maladie de Charcot) peut paralyser complètement les muscles utilisés pour parler. Dans d’autres cas, à la suite d’un accident vasculaire cérébral par exemple, les zones du cerveau responsables du langage peuvent être touchées : c’est l’aphasie. Toutefois, dans bon nombre de ces cas, la capacité des patients à imaginer des mots et des phrases reste partiellement fonctionnelle.
Une parole bien cachéeLorsqu’une personne parle à haute voix, elle produit des sons qui sont émis à certains moments précis. Les chercheurs peuvent ainsi mettre en relation ces éléments tangibles avec les régions cérébrales impliquées. Dans le cas de la parole imaginée, le processus est beaucoup moins aisé. Les scientifiques ne disposent pas d’informations évidentes sur l’enchaînement et le tempo des mots ou des phrases formulés intérieurement par l’individu. Les zones recrutées dans le cerveau sont également moins nombreuses et moins actives.
Afin de percevoir les signaux neuronaux de ce type de parole très particulier, l’équipe de l’UNIGE a utilisé un panel de treize patients hospitalisés, en collaboration avec deux hôpitaux américains. Ils ont collecté des données grâce à des électrodes implantées directement dans le cerveau des patients afin d’évaluer leurs troubles épileptiques. “Nous avons demandé à ces personnes de dire des mots, puis de les imaginer. A chaque fois, nous avons passé en revue plusieurs bandes de fréquences de l’activité cérébrale connues pour être impliquées dans le langage”, explique Anne-Lise Giraud, professeure au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE, codirectrice du PRN Evolving Language et nouvellement nommée directrice de l’Institut de l’Audition à Paris.
Capter la bonne fréquence
Les chercheurs ont observé plusieurs types de fréquences produites par différentes zones du cerveau lorsque ces patients parlaient, que ce soit oralement ou intérieurement. “Tout d’abord, les oscillations dites thêta (4-8Hz), qui correspondent au rythme moyen de l’élocution des syllabes. Ensuite, les fréquences gamma (25-35Hz), observées dans les zones du cerveau où se forment les sons de la parole. Troisièmement, les ondes bêta (12-18Hz) liées aux régions cognitivement plus efficaces sollicitées, par exemple pour anticiper et prédire l’évolution d’une conversation. Enfin, les hautes fréquences (80-150Hz) qui sont observées lorsqu’une personne s’exprime” explique Pierre Mégevand, professeur assistant au Département des neurosciences cliniques de la Faculté de médecine de l’UNIGE et médecin associé aux HUG.
Grâce à ces observations, les scientifiques ont pu montrer que les basses fréquences et le couplage entre certaines fréquences (bêta et gamma notamment) contiennent des informations essentielles pour le décodage de la parole imaginée. Leur recherche révèle également que le cortex temporal est une zone importante pour le décodage éventuel de la parole interne. Située dans la partie latérale gauche du cerveau, cette région cérébrale spécifique est impliquée dans le traitement des informations liées à l’audition et à la mémoire, mais elle abrite également une partie de l’aire de Wernicke, responsable de la perception des mots et des symboles du langage.
Ces résultats constituent une avancée majeure dans la reconstruction de la parole à partir de l’activité neuronale. “Mais nous sommes encore loin de pouvoir décoder le langage imagé”, conclut l’équipe de recherche.