Le langage bébé : un super-pouvoir humain ?
Les humains de différentes cultures parlent à leurs enfants en utilisant une forme de langage connue sous le nom de « discours adressé à l’enfant » ou « langage bébé ». Si, pour nous, il paraît naturel de communiquer directement avec nos petits, il semblerait que cette caractéristique soit loin d’être répandue chez les grands singes non humains, selon une nouvelle recherche dirigée par des équipes des universités de Zurich et de Neuchâtel. Leur publication est en couverture de la revue Science Advances.

Un jeune bonobo et sa mère. © Franziska Wegdell, Kokolopori Bonono Research Project.
Chez les humains, il est presque universel que les adultes utilisent un style de langage particulier, souvent appelé ‘langage bébé’, lorsqu’ils s’adressent aux jeunes enfants. De nombreuses études ont montré que plus les enfants entendent des discours qui leur sont directement adressés, meilleures sont leurs performances en matière d’apprentissage (par exemple, pour le développement de leur vocabulaire ou leurs compétences en lecture et en écriture). Cette pratique semble faciliter l’acquisition du langage. Mais comment a-t-elle évolué ?
Pour étudier cette question, des chercheur-se-s de l’Université de Zurich et de l’Université de Neuchâtel, membres du PRN Evolving Language, et leurs collègues d’universités françaises, allemandes et américaines, ont cherché à savoir si ce trait était partagé avec les autres grands singes.
Les experts du « langage bébé »
Dans leur étude publiée par Science Advances, des biologistes et des linguistes ont observé l’utilisation de la communication vocale dirigée vers les jeunes de cinq espèces de grands singes : les humains, les bonobos, les chimpanzés, les gorilles et les orangs-outans. Pour cela, elles et ils ont méticuleusement enregistré les vocalisations auxquelles étaient exposés les petits des grands singes dans la nature.
Leurs résultats montrent que les humains forment de loin le groupe utilisant le plus fréquemment le « langage bébé ». « Nous avons été surpris-e-s par la rareté de ce type de communication observé chez nos plus proches parents vivants », déclare la chercheuse de l’Université de Zurich Franziska Wegdell, l’une des trois premières autrices de l’étude.
Dans ce cas, comment les bébés grands singes non humains parviennent-ils à intégrer les éléments de leur système de communication qui ne sont pas innés ?
Apprendre par d’autres moyens
En effet, même chez les humains, il existe d’autres moyens pour les petits d’apprendre le langage. « Nous savons que les bébés humains sont capables d’apprendre des nouveaux mots en entendant les discours des adultes ou celui des autres enfants autour d’eux », explique Johanna Schick de l’Université de Zurich, co-première autrice de l’article. En comparant la communication environnante entre les cinq espèces de grands singes, les chercheur-se-s ont constaté que toutes y étaient exposées à des niveaux similaires, à l’exception des orangs-outans. Il se peut que, comme les humains, les grands singes acquièrent eux aussi certains aspects de leur système de communication par voie sociale, en s’inspirant des échanges qui les entourent.
De plus, dans leur étude, les chercheur-se-s ne se sont intéressé-e-s qu’à la quantité de communication vocale dirigée, et pas à des phénomènes similaires sous d’autres formes. « Puisque la parole est une modalité primaire du langage, nous avons choisi de commencer nos recherches en nous concentrant sur le domaine vocal », dit Caroline Fryns, chercheuse à l’Université de Neuchâtel et co-première autrice de l’étude. « Mais nous savons par exemple que les grands singes non humains dirigent des gestes vers leurs jeunes, et que certains de ces gestes présentent même des caractéristiques qu’on retrouve dans la communication adressée à l’enfant des humains ».
Étudier l’évolution de la communication dirigée vers les enfants
Pour comprendre l’évolution du langage, l’idéal serait d’examiner les capacités linguistiques des premiers humains. Cependant, comme le langage ne se fossilise pas, nous n’avons aucune trace de ces aptitudes de ces espèces d’hominidés éteintes. « C’est pourquoi nous nous sommes tourné-e-s vers nos plus proches parents vivants, les grands singes non humains, pour étudier la communication vocale adressée aux petits », explique Franziska Wegdell.
Les résultats de l’étude semblent indiquer que la tendance à diriger des vocalisations vers les enfants s’est massivement développée dans la lignée humaine.
Bien qu’on ne trouve ce type de communication qu’à des niveaux faibles dans nos parents grands singes, il a été démontré que d’autres espèces, comme certains autres singes, les chauves-souris, les chats ou les dauphins, présentent aussi des capacités à diriger des vocalisations vers leurs petits. « Pour mieux comprendre l’évolution de la communication adressée aux enfants, des travaux futurs pourraient comparer comment les caractéristiques et les fonctions de ce type de communication varient d’une espèce à l’autre et pourquoi », proposent les chercheuses.