Musée Ariana
Dragon à la perle (au plafond)
Sphinx et Dragons à l'Ariana Introduction par Dre. Stéphanie-Aloysia Moretti, co-curatrice du projet
Gustave Revilliod (1817-1890) était un érudit et collectionneur typique de la fin du XIXe siècle. Voyageur passionné, il entreprit, à plus de soixante-dix ans, un tour du monde entre 1888 et 1889, dans le but de découvrir, contempler et acquérir des objets variés. À sa mort au Caire, sans héritiers, il légua ses précieuses collections encyclopédiques à la ville de Genève. Ainsi, des objets ayant appartenu à Revilliod se trouvent aujourd’hui au Musée d’Art et d’Histoire, au Muséum d’Histoire Naturelle, à la Bibliothèque, au Musée d’Ethnographie, et bien sûr à l’Ariana, un musée qu’il fit construire en hommage à sa mère, Ariane, afin d’exposer ses collections et de les rendre accessibles à un large public.
Au cours de son séjour en Orient, Gustave Revilliod fut profondément influencé par l’esthétique des créatures fantastiques alors en vogue. Il exprima le souhait d’intégrer ces éléments dans son musée : on peut admirer la paire de Sphinx d’Émile-Dominique Fasanino qui orne l’escalier extérieur côté lac, ainsi que les décorations des salons. Ainsi, le Dragon poursuivant la perle enflammée de Frédéric Dufaux a 5 griffes, ce qui le qualifie de dragon impérial, le plus puissant des dragons. Il commanda même un lustre en bois, constitué d’une ronde de sirènes-bougeoirs, pour éclairer la bibliothèque.
En plus de ces aménagements qui font intégralement partie de l’Ariana, Gustave Revilliod fit l’acquisition d’un grand nombre d’objets ornés d’animaux chimériques, notamment sur les vases, parmi lesquels figuraient les emblématiques dragons chinois, ancêtres des dragons japonais.
Entretien avec une experte – Dre. Coralie Debracque, co-curatrice du projet
Dragon
À l’image du dragon japonais de l’Ariana, les dragons de komodo sont des reptiles géants. Le Varanus komodoensis est d’ailleurs l’espèce la plus grande des lézards actuels. Les mâles peuvent ainsi mesurer jusqu’à 3 m et peser 90 kg: de véritables dragons ces komodo!
Prédateur solitaire, les dragon de komodo ne communiquent que très rarement entre eux. Ils utilisent cependant des signaux chimiques et tactiles lorsqu’ils se retrouvent autour d’une carcasse ou pendant la saison des amours.
Leur système auditif étant moins développé que leur système olfactif, les dragons de komodo ne sont pas de grands bavards. Ils sont par contre experts dans la détection des signaux chimiques! En effet, comme les serpents, ils utilisent leur langue fourchée pour capter puis reconnaître les molécules odorantes qui sont dans l’air via l’organe de jacobson. Une concentration plus élevée de molécules sur un bout de langue plutôt que sur l’autre indique au dragon de komodo qu’une proie ou un congénère se trouve à sa droite ou à sa gauche. Afin de suivre une piste olfactive sur une longue distance et cela sans s’arrêter, le dragon a développé une marche en zig zag, en balançant sa tête d’un côté puis de l’autre.
Créature mystique ou animal bien vivant, les dragons sont fascinants!
Référence:
Kuppert, S. (2013). Providing enrichment in captive amphibians and reptiles: Is it important to know their communication?.
Minotaures
Minotaure Introduction par Dre. Stéphanie-Aloysia Moretti, co-curatrice du projet
Le céramiste hongrois Imre Schrammel, né en 1933, se confronte à un animal fantastique particulièrement singulier. En effet, alors que la plupart des créatures hybrides occidentales se caractérisent par l’assemblage de corps d’animaux surmontés de têtes humaines, le Minotaure, à l’inverse, possède un corps humain et une tête zoomorphe, à l’instar des divinités égyptiennes.
Les artisans qui ont imaginé des créatures fantastiques alliant les qualités animales et humaines ont souvent pensé que cette combinaison donnerait naissance à un surhomme. Par exemple, envisageons un homme doté du physique d’un cheval : il pourrait se déplacer rapidement grâce à ses quatre pattes tout en conservant la capacité de penser. En revanche, le Minotaure semble désavantagé par sa tête de taureau, qui déséquilibre son corps, rendant difficile l’idée qu’il puisse penser ou s’exprimer.
Selon la mythologie grecque, le Minotaure serait le résultat de l’accouplement d’une mortelle, Pasiphaé, épouse du roi Minos, et d’un taureau blanc dont la reine serait tombée amoureuse suite à une punition infligée par Poséidon.
Dans sa nouvelle La Ballade du Minotaure, Friedrich Dürrenmatt renverse les rôles traditionnels : alors que la mythologie présente le Minotaure comme un monstre et glorifie Thésée, le héros qui le tue, Dürrenmatt soulève une question éthique profonde en considérant qu’il est monstrueux d’assassiner un être stigmatisé et captif.
Entretien avec un expert – Jean Wagner (biologiste et licencié en histoire de l’art & archéologie, Paris)
Minotaures
Ces deux céramiques évoquent le mythe du Minotaure représenté par la statue de gauche. Le Minotaure est un mixanthrope – mot désignant un personnage mi-humain mi-animal. Nous n’insisterons pas sur le mythe lui-même en rapport avec les débuts de l’histoire de la Grèce ancienne.
Le Minotaure est un animal mâle formé d’une tête de taureau et d’un corps humain. Le sculpteur l’a représenté avec une musculature puissante qui évoquerait celle d’un athlète fréquentant le gymnase. Le Minotaure, naît de l’accouplement d’un taureau et d’une femme. Il n’est pas utile ici de préciser les circonstances de cet événement. Le Minotaure montre des caractères anatomiques hérités des parents mais contrairement à beaucoup de mixanthropes, la tête est animale contrairement aux Centaures, Sirènes ou Sphinx dont la tête est humaine.
Le groupe statuaire de droite représente deux personnages : une femme et un personnage avec une tête de taureau mais à corps humain, on distingue en effet un de ses pieds à la base du groupe, qui entoure la femme de ses bras. Le corps de la femme montre une opulence et une rondeur des formes qui contraste avec le corps musclé du Minotaure (statuette de gauche). Le Minotaure tient tendrement la femme qui est vraisemblablement sa mère, car dans le mythe aucune autre fréquentation féminine ne lui est connue. Cette tendre attitude justifie le titre du groupe « Les Amants ». En effet, des textes grecs relatent les relations étroites entre le Minotaure et sa mère, cependant sans allusions à des rapports amoureux.
Entretien avec une experte – Dre. Cristina Soriano (UNIGE, CISA)
Le minotaure
La représentation d’êtres humains dotés de traits animaux était courante en Égypte, en Grèce et à Rome, et demeure présente aujourd’hui. Pourquoi ? Que communiquent ces mélanges d’humain et d’animal ? Une explication possible, mais non exclusive, est que ces images fonctionnent comme des métaphores, facilitant des inférences tout en suscitant des émotions. Elles créent un effet d’étrangeté, capable de capter l’attention, d’éveiller l’intérêt ou le plaisir, et de rendre ce qui est représenté plus mémorable.
Nous ne pouvons pas savoir avec certitude quelles inférences ou émotions les Égyptiens cherchaient à transmettre en dotant leurs dieux de têtes animales, ou les Grecs en imaginant des monstres hybrides comme le Minotaure. Mais, selon une perspective occidentale contemporaine, ces représentations semblent souligner des formes plus fondamentales de cognition, comme les instincts, ou nier des caractéristiques humaines telles que la rationalité et la moralité.
Le Minotaure, par exemple, incarne l’attraction sexuelle irrésistible d’un humain pour un animal, donnant naissance à une créature « contre nature ». Ainsi, la métaphore visuelle d’un corps humain surmonté d’une tête de taureau exprime l’irrationalité, l’immoralité et la passion débridée de manière plus viscérale et mémorable que ne pourrait le faire le langage littéral.
Aller plus loin
Femme à tête de poule
Femme-Poule Introduction par Dre. Stéphanie-Aloysia Moretti, co-curatrice du projet
Gustave Revilliod était un humaniste de son époque, passionné par les esthétiques variées et un grand collectionneur. Le Salon qui porte son nom à l’Ariana constitue un véritable musée au sein du musée, offrant une atmosphère qui évoque son temps et exposant certaines pièces de sa collection, dont la célèbre Femme-Poule, réalisée au Portugal vers 1880.
Manuel Cipriano Gomes, connu sous le nom d’artiste de O Mafra, est le fils d’un potier et devient directeur de la renommée faïencerie de Maria dos Cacos. Bien qu’il occupe ce poste, il continue à créer des pièces de céramique, s’inscrivant dans la lignée esthétique de Bernard Palissy (1510-1590) qui intégrait fréquemment sur ses plats des représentations en volume d’animaux, qu’il avait préalablement modelés d’après nature.
Trois siècles après Palissy, O Mafra demeure fasciné par la représentation du monde animal en céramique, mais il le fait à la manière de son époque, s’éloignant du style rocaille. La Femme-Poule, à l’image des minotaures, est un assemblage singulier : elle représente un corps humain, celui d’une femme corpulente, dont le corps est entièrement dissimulé sous une ample cape. Seules ses mains émergent, tenant un éventail replié, tandis qu’une tête de poule surmonte de cette composition intrigante
Entretien avec une experte – Dre. Coralie Debracque, co-curatrice du projet
Quel est le point commun entre l’être humain et la poule ?
Nous évoluons ensemble depuis le néolithique! Lorsque la majorité des groupes d’Homo sapiens se sont sédentarisés il y environ 7000 à 10 000 ans, les premiers fermiers ont commencé à domestiquer des oiseaux sauvages en quête de nourriture. Les scientifiques n’ayant pas trouvé de preuves formelles que les ancêtres de nos poules actuelles (Gallus gallus domesticus) aient été élevés pour leur viande ou leurs oeufs, il est possible que les gallinacés furent à l’origine domestiqués pour leur apparence esthétique ou pour des rites et marqueurs socioculturels.
Il est aujourd’hui difficile de déterminer avec certitude l’origine géographique de notre poule domestique. Il est en effet presque impossible de distinguer les os de l’espèce Gallus sauvage, de l’espèce Gallus domesticus. D’après les études de la répartition géographique actuelles des faisans et pintades sauvages mais aussi des analyses génétiques de l’ADN mitochondrial de l’animal, il serait cependant très probable que notre poule domestique soit originaire d’Asie.
La poule serait-elle la meilleure amie de l’Homme? Nous vous laissons en juger.