Rue du Mont-Blanc
Sphinx de François Lempereur
Sphinges de Cornavin Introduction par Dre. Stéphanie-Aloysia Moretti, co-curatrice du projet
La paire de sphinges qui accueille le voyageur souhaitant rejoindre la gare Cornavin depuis la Rue du Mont Blanc n’était pas du tout destinée à être ainsi exposée dans une zone publique. En effet, ces deux sculptures, réalisées en 1855 par le sculpteur Lempereur (sans qu’il soit clair s’il s’agit du père Antoine ou du fils François), ont été commandées par James Fazy, alors propriétaire d’un « Cercle des Étrangers », pour orner l’entrée de ce qui était en fait une luxueuse maison de jeu qui a dû fermer dès 1863. En 1868, le bâtiment devient l’Hôtel de Russie et, durant 100 ans, les sphinges accueillirent donc les hôtes, intensifiant encore l’exotisme du nom de l’hôtel.
L’Expédition d’Égypte de Bonaparte en 1798 lança la mode de l’égyptomanie, et ces sphinges de 1855 sont donc tout à fait dans l’air du temps, tout comme les lions ailés et les griffons du monument Brunswick de 1873. Cette vogue durera, car la paire de sphinx du Musée de l’Ariana date de 1888.
À Genève, les deux paires de sphinges et sphinx sont donc des marqueurs de lieux qui se veulent à la mode, et leur iconographie les montre aptères et ornés du Nemès égyptien, deux caractéristiques qui les distinguent des sphinges de la Grèce antique. En effet, dans la mythologie grecque, la Sphinge était une créature ailée ayant un visage et une poitrine féminine sur un corps de lion, et son histoire est liée au mythe d’Œdipe, alors que les sphinx égyptiens sont masculins et représentent le roi.
Entretien avec un expert – Jean Wagner (biologiste et licencié en histoire de l’art & archéologie, Paris)
La paire de Sphinx de la zone commerçante de la Gare de Cornavin figure un être mixanthrope mi-humain mi-animal. La partie humaine est féminine et le reste du corps est léonin, pattes et griffes de lion. Les Sphinx sont connus dans les civilisations égyptienne et grecque. Le sculpteur, François Lempereur, s’est inspiré de cette double origine. En effet, ce Sphinx a des caractères grecs comme la partie humaine féminine, cependant il lui manque les ailes. Ce Sphinx a des caractères égyptiens car il est assis, contrairement aux Sphinx grecs se tenant sur leurs pattes, il est coiffé du némès et il fait partie d’une paire. La présence d’une moitié léonine est garante de force et puissance, que le Sphinx soit grec ou égyptien.
L’absence d’ailes et la position assise du Sphinx de Genève sont associées à une notion de stabilité s’opposant à l’agilité des Sphinx grecs perchés sur des colonnes, des rochers ou en haut de temples.
Les Sphinx égyptiens avaient souvent une fonction de gardien de temple. En Grèce, les Sphinx avaient des fonctions variées. La présence d’une tête humaine leur permettait de converser avec les êtres humains comme par exemple le Sphinx de Thèbes posant l’énigme qu’Œdipe résolut.