Musée d’Histoire des Sciences
La Villa Bartholoni Introduction par Dre. Stéphanie-Aloysia Moretti, co-curatrice du projet
La Villa Bartholoni de la Perle du Lac a été construite en 1830 par Félix-Emmanuel Callet comme résidence estivale de Jean-François Bartholoni, un banquier investisseur dans les travaux publics qui a également fondé le Conservatoire de Musique de Genève.
Il était alors dans l’air du temps que la grande bourgeoisie et l’aristocratie se fassent construire des demeures qui démontrent leur appartenance à la culture européenne et ainsi la Villa Bartholdi, fait honneur aux origines toscanes de la famille et si elle suit une structure néo-paladienne, suivant le plan des villas de Vénétie du XVIème, la décoration intérieure est d’inspiration pompéïenne.
Ce sont des peintres italiens qui, sous la direction de François-Edouard Picot, ont œuvré afin de réaliser les décors des pièces de réception du rez-de-chaussée. Si l’iconographie de la salle de bains consiste en des créatures marines et où des génies ailés chevauchant des chevaux marins, sphinges, griffons et satyres, ornent le grand salon. A l‘extérieur, la fontaine d’André-Louis Lambert, qui a l’origine était surmontée d’un pavillon de style mauresque, est surmontée d’un charmant très jeune Triton, consistant en l’assemblage d’un torse humain et d’une queue de poisson, dont le plus fameux exemplaire est la fontaine du Triton à Rome, œuvre du Bernin.
Toutes ces créatures, si elles sont très esthétiques, ne peuvent néanmoins pas réellement prétendre à une importance mythologique, car au contraire du Minotaure, de Pégase ou de Chimère, aucun texte ne raconte leurs histoires.
Une vie de satyre
Entretien avec une experte – Dre. Doralice Fabiano (UNIGE)
Le plafond de la villa Bertholoni a été réalisé peu avant 1830 par des artisans italiens supervisés par le peintre français François-Édouard Picot. Les teintes délicates de la décoration renvoient à l’esthétique néoclassique qui caractérise le bâtiment, conçu par l’architecte parisien Félix-Emmanuel Callet. Les sujets représentés (les jeux de Pan et des petits érotes ailés) montrent clairement l’influence des décorations antiques, comme celles découvertes dans la Domus Aurea, connues à partir du XVIe siècle, et dans les maisons d’Ercolanum et de Pompéi, fouillées respectivement à partir de 1738 et 1748.
Pan, le dieu bouc qui protège notamment les bergers et les troupeaux, danse avec une chèvre dressée sur ses pattes postérieures. Le petit éros qui s’enfuit effrayé à gauche de la scène fait sans doute référence à la panique, la peur incontrôlable et immotivée provoquée par le dieu Pan, comme son nom l’indique. À la droite de Pan, deux érotes jouent avec des oiseaux, peut-être des colombes, qui renvoient à Aphrodite. L’association entre Éros et Pan était très étroite dans l’Antiquité, car le dieu est connu pour son appétit sexuel et son érotisme violent. Dans l’image de droite, deux petits Pan et trois érotes jouent de la musique dans le cadre d’un schéma iconographique emprunté aux processions pratiquées lors des rites mystériques, comme le suggèrent la présence du lion, un animal étroitement lié à la déesse Cybèle, ainsi que la présence du vase vers lequel la procession se dirige, que l’on pourrait interpréter comme une ciste contenant des objets sacrés.
Aller plus loin
Griffons des sciences
Entretien avec une experte – Dre. Doralice Fabiano (UNIGE)
Monstres marins et griffons
Le plafond de la villa Bertholoni a été réalisé peu avant 1830 par des artisans italiens sous la supervision du peintre français François-Édouard Picot. Les teintes délicates de la décoration reflètent l’esthétique néoclassique caractérisant le bâtiment, conçu par l’architecte parisien Félix-Emmanuel Callet. Les frises du plafond représentent des créatures hybrides inspirées de la mythologie antique.
La première frise montre des monstres marins ailés à tête léonine ou canine, gueule ouverte et menaçante, pattes antérieures palmées et queue serpentine. Ces êtres hybrides s’inspirent des monstres marins hellénistiques, s’en distinguant par leurs ailes. On retrouve des créatures similaires sur les sarcophages romains d’époque impériale, où les Néréides (des nymphes marines) les chevauchent.
La deuxième frise présente des griffons, lions ailés à bec d’aigle. Selon Hérodote (Histoires III 115-116, IV 13-15 et 27), ces créatures gardent l’or aux confins du monde connu, au-delà de la Scythie (région au nord de la mer Noire). Ils le protègent des Arimaspes, peuple mythique borgne et belliqueux qui tente de le leur dérober.
Aller plus loin
Sirènes et Centaures
Entretien avec un expert – Prof. Jérôme de Grammont (Institut Catholique de Paris)
Sirènes et centaures
On doit à Jorge Luis Borges un Livre des êtres imaginaires. Il n’y a rien d’étonnant à ce que l’imaginaire déborde le réel sous la plume d’un écrivain. Il est plus rare de voir la pure fantaisie affleurer sous la plume de quelques philosophes, épris de réalité par vocation. Aussi de tels moments méritent-ils qu’on s’y arrête. Ainsi lorsque Descartes, à mi-chemin entre la conquête du cogito et la découverte de l’Idée de Dieu, se livre à quelque extravagance : « …et enfin il me semble que les sirènes, les hippogriffes et toutes les autres semblables chimères sont des fictions et inventions de mon esprit » (Méditation III, AT IX 30). Il faut croire qu’il y a du sérieux dans ces divagations, et traquer ces animaux fantastiques à qui il arrive de traverser les livres les plus sérieux du monde. Voilà que très sérieusement Aristote fait naître dans les premières pages du De interpretatione un bouc-cerf auquel il faut prêter du sens mais dénier qu’il ait de l’être. Très sérieusement que Husserl, à longueur de pages recueillies dans Husserliana XXIII, se demande l’effet que produirait la soudaine apparition d’un centaure. Qu’on ne renvoie pas ces êtres imaginaires sous le prétexte facile qu’ils n’existent pas. Il a fallu un logicien autrichien contemporain de Husserl, Alexius Meinong, pour décrire avec rigueur le mode d’être et ne pas être, le mode d’être hors-d’être, d’objets aussi impossibles que des cercles carrés, et inventer ce paradoxe qui touche à la poésie : « il y a des objets à propos desquels on peut affirmer qu’il n’y en a pas ». Gageons qu’une cohorte d’êtres imaginaires viendra sans tarder peupler cette nouvelle catégorie :
Il n’y a pas d’hircocerf, à moins qu’il n’ait refuge dans une science du pur non-être.
Il n’y a pas de sirène ou d’hippogriffe, fictions de notre esprit qui échouent à devenir pleines réalités.
Il n’y a pas de centaure, qui reste enfermé dans le quasi-monde né de notre phantasia.
Mais il y a des mots pour les dire et des mains pour les dessiner. Puissance du nom qui suffit à donner du sens à ce qui n’a pas d’être. L’homme dit : « Que la chimère soit ! », et aussitôt des images se forment.