Papier Gras
Le dragon contemporain de Josep Baqué – Collection de l’Art Brut
Les Dragons de Josep Baqué Introduction par Dre. Stéphanie-Aloysia Moretti, co-curatrice du projet
Josep Baqué nait en 1895 à Barcelone. Sa famille est active dans les arts décoratifs et il baigne donc dans cette atmosphère, mais à 17 ans il prend son envol et émigre à Marseille puis à Düsseldorf et enfin en Belgique, période durant laquelle il vit de petits boulots, notamment comme tailleur de pierre spécialisé dans l’art funéraire. En 1928 il retourne à Barcelone ou il devient sergent de ville dans le quartier des Ramblas, où il côtoie la Casa Bruno Cuadros, un bâtiment de style moderniste éclectique, qui arbore un majestueux dragon.
Ce dragon le fascine et il commence à le dessiner, ce qui inaugure une longue série de 1’500 créatures rassemblées au nombre de 3 ou 4 par pages, toujours de même dimension car provenant souvent du stock de papier de son employeur. Il répertorie ses êtres fantastiques en 9 catégories : Animaux et fauves, Hommes primitifs, Chauves-souris et insectes, Araignées géantes, Escargots, Poulpes, seiches et crustacés, Animaux à plumes, et Poissons divers.
Si ces catégories donnent l’impression qu’il s’agit d’animaux dit classiques, le fait qu’il veuille les individualiser implique qu’il élargit la palette et qu’il accentue certains traits et procède par hybridation entre espèces, crée donc un véritable bestiaire fantastique qu’il appelle Monstres, merveilles et phénomènes rares.
Les couleurs éclatantes et les relations entre les créatures fantastiques (on en voit même qui jouent à saute-mouton) donnent à ces êtres chimériques une atmosphère joyeuse, au point que dans le Correspondancier du Collège de Pataphysique, on les qualifie de « monstres domestiques ».
Entretien avec une experte – Eleanor Philippoz (Collection de l’Art brut)
Les créatures anthropomorphiques de Josep Baqué
« L’art doit toujours un peu faire rire et un peu faire peur. Tout mais pas ennuyer » (1), affirmait l’artiste français Jean Dubuffet. À la fois drôles et effrayantes, les créatures chimériques de l’auteur espagnol Josep Baqué incarnent bien la déclaration savoureuse du créateur du concept d’Art Brut.
Né à Barcelone, Josep Baqué (1895-1967) va être sensibilisé par son oncle aux arts décoratifs ainsi qu’à l’imagerie populaire et engendrera son œuvre singulière. De nature discrète, le jeune Josep dévore les magazines illustrés. Il y tire une source inépuisable d’images dont il se sert à l’envi lorsqu’il constitue, dès 1932, son bestiaire imaginaire, après avoir sillonné différents pays d’Europe. Josep Baqué officiant alors comme agent de la circulation, donne forme à plus de 1500 créatures anthropomorphiques tout droit sorties de son imaginaire fécond, déployées au sein de 454 planches. Avec la même rigueur qu’un scientifique aguerri, il classe et divise ses animaux selon neuf catégories distinctes : animaux et fauves, araignées géantes, escargots, chauves-souris et insectes, hommes primitifs…, etc (2).
Ses chimères, chacune unique et singulière, rappellent autant les animaux fantastiques peuplant les marginalia des enluminures médiévales que les illustrations des peintres animaliers du XVIème siècle (3) . L’imaginaire des créatures de Baqué s’abreuve de ses pérégrinations dans son Espagne natale. Il y découvre un vivier d’images à travers l’architecture délicate de Gaudi ou lorsqu’il décèle des poissons ruisselants jonchant les étals des marchés. Ses déambulations autour de la Méditerranée vont lui permettre de découvrir des animaux tant terrestres que marins, ainsi que des insectes qu’il conjugue à des motifs végétaux issus des arts décoratifs pour créer ses chimères (4).
Les créatures kafkaïennes de Baqué sont anthropomorphisées puisqu’on y décèle pléthore d’éléments humanisants : des dents, des yeux globuleux ou des seins. Son bestiaire jaillit au sein d’une œuvre graphique naïve (5) qui s’apprécie comme le témoignage singulier d’un pygmalion qui tirait tout son plaisir dans le façonnage puis la classification de ses animaux oniriques.
Références:
(1)DUBUFFET Jean, « Avant-projet d’une conférence populaire sur la peinture (1945) » in DUBUFFET Jean, DAMISCH Hubert, Prospectus, et tous écrits suivants, Paris : Gallimard, 1967, p. 53.
(2)GRIZZO Mireille, REIXA I BAQUE Esteve, Josep Baqué et son bestiaire (cat d’expo. Lausanne : Collection de l’Art Brut, 06.07-25.10 2014), Lausanne : Collection de l’Art Brut, 2014, pp. 5-6.
(3)CIANCIA Guy, DEGAND Francine, « Les monstres domestiques de Josep Baqué », Viridis Candela : Monstres, 8 absolu 135 E.Le correspondancier du Collège de Pataphysique, no. 1, vol. 8, septembre 2007, p. 28.
(4)CIANCIA, DEGAND, Ibidem, p. 27.
(5)Développée notamment par le critique Anatole Jakovsky, la notion d’ « art naïf » s’articule autour de critères esthétiques qui regroupent l’absence de perspective ou de jeux de lumière, et qui témoignent du sentimentalisme de l’artiste et non une quête de réalisme. Voir JAKOVSKY Anatole, L’Art naïf, Paris : J. Damase, 1949.
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Les chimères contemporaines de Marguerite Burnat-Provins – Collection de l’Art Brut
Les dessins hallucinatoires, enfants de la guerre de quatorze Introduction par Catherine Dubuis (Association Marguerite Burnat-Provins)
Nous sommes dans les Pyrénées, le 4 août mille neuf cent quatorze, par un chaud après-midi. Marguerite est seule, assise sur un balcon à la grande toile orangée. D’un seul coup, le tocsin éclate comme un coup de tonnerre dans ce ciel bleu : la mobilisation, la guerre!
L’artiste est alors envahie par ses visions comme par des armées. D’abord ce sont des noms qui défilent, tous plus étranges les uns que les autres. Puis ce sont des visages, en rangs serrés, telles les troupes allemandes qui envahissent le nord de la France, causant angoisse, mort et destruction. Ces figures hallucinatoires, cette armée silencieuse, dont elle est le champ de bataille, elle refuse de les considérer comme ses créatures. Elle se revendique médium, donc traversée par ces êtres, dont elle ne sait pas d’où ils viennent. C’est la raison pour laquelle les contacts qu’elle aura avec des médecins seront décevants, car tous la tiendront pour l’autrice de ces visions, alors qu’elle refuse cette interprétation : elle qui aime par-dessus tout la beauté et l’harmonie ne peut être la créatrice de ces êtres, le plus souvent laids et difformes.
Quand Jean Dubuffet, le concepteur de l’Art brut, envisage d’intégrer son œuvre visionnaire à sa collection, elle a un mouvement de révolte: comment ? L’Art brut, l’art des fous ? Mais je ne suis pas folle … Elle sera malgré tout reçue par la Collection, mais dans une section à part, la Neuve Invention. Ces visions, nées de la guerre, l’accompagneront jusqu’à sa mort.
Entretien avec une experte – Catherine Dubuis (Association Marguerite Burnat-Provins)
Les Chimères de Marguerite
(MBP, Vous, suivi de Poèmes troubles, Gollion, Infolio éd, « Microméga », 2022, pp. 60-61)
Les Chimères de la poétesse sont bien éloignées des monstres inquiétants créés par la peintre. Métamorphose du mot qui, posé sur la page, déploie ses ailes, devient chimère : cet animal fabuleux va prendre son envol, renouvelant l’immortel rêve d’Icare, et faire découvrir à la rêveuse de nouveaux paysages.
Chimères !
J’ai écrit ce mot élancé comme on fait par désœuvrement, quand un instant de la journée se creuse subitement en tranchée large, impossible à franchir. […]
Il est devant moi, cependant, le mot ailé, le mot griffu qui dit la plume longue, le pelage ocellé, l’œil du rapace, le mufle du lion et le bec qui lacère et le vol sans limite et le galop sans fin.
Venez, venez Chimères en immense troupeau, battant le sol et battant l’air, ma place est là sur votre dos, c’est vous qui sauterez et, d’un élan rapide, m’emporterez.
Dans l’œil béant des chimères, la rêveuse voyageuse contemple de « lentes visions » qui lui révèlent la Beauté, accompagnée du bonheur, de la paix, de la disparition du temps humain. C’est aussi la mer, « le grand peuple des flots », le vent qui ternit les soleils. Mais les chimères sont fatiguées, leurs yeux se ferment, et les visions s’estompent peu à peu. Quand l’homme apparaît, effaçant le grand paysage rêvé, il incarne la figure de l’amour, celui que l’on n’atteint jamais. Et, dans un dernier envol, la chimère se métamorphose en sphinx, éternelle énigme de la destinée humaine.
XCII
Assez de souffrance, ô chimères.
Ouvrez vos ailes toutes grandes, il faut nous cacher un désert.
Qu’elles vibrent et battent sans trêve, il faut purifier le vent.
Planez dans un vol qui fascine, il faut endormir la douleur.
Rasez le sol gonflé de tombes, il faut préparer le réveil.
Ouvrez donc vos ailes plus grandes, plus grandes pour en diaprer notre amour.
Marguerite Burnat-Provins, Poèmes de la Boule de verre, Paris, Sansot, 1918
(Poèmes datés de Neuilly, avril-mai 1917)
Entretien avec une experte – Catherine Dubuis (Association Marguerite Burnat-Provins)
De l’humain à l’animal
La création visionnaire de Marguerite Burnat-Provins va de l’être humain environné de menaces animales à l’assemblage monstrueux. L’animal gagne peu à peu sur l’humain, pour se fondre en lui, voire le dévorer, ce dernier ne subsistant que sous la forme d’un cadavre ou d’un faciès de clown triste hanté par la terreur (La vie, est-ce bon ?, Frilute le peureux).
Un profil sévère et songeur se décline en faces de plus en plus sauvages, surgissant de la nuit tels des fantômes nés d’un cauchemar (Les Etres de l’abîme).
Celle qui ressemble à une taupe mérite une mention spéciale, avec sa pointe d’humour, assez rare pour être signalée.
De même, la représentation du mort dans le bec du rapace est soulignée par l’ironie du titre : La vie, est-ce bon ?
Dans quelques cas, l’artiste se fait moraliste et s’empare de la chimère pour illustrer certains péchés capitaux (La Luxure, La Vanité). Le visage humain, cependant, persiste dans ces visions, comme si l’artiste ne pouvait s’en détacher, dans un ultime effort pour croire encore que l’animalité ne l’emportera pas sur l’humain.
Asclibour, le cou enserré dans les anneaux des trois oiseaux qui le cernent, nous touche par l’angoisse peinte sur ses traits. Hanugre résiste à l’emprise du chat, son visage serein teint de la même pâleur que celui de l’animal et lui faisant pendant. Anthor, à la face semblable déjà à celle d’un trépassé et dominé par le sombre oiseau de son destin, se drape sous l’aile du volatile et s’en fait un rempart.
Koï de Wido de Marval
Koï & Dragons Introduction par Dre. Stéphanie-Aloysia Moretti, co-curatrice du projet
Les créatures résultant d’assemblages entre humains et animaux ont des origines très anciennes. Un homme-lion, datant d’environ 32 000 ans et sculpté dans de la corne de mammouth, marque le début d’une longue série de représentations de ces êtres hybrides. Depuis lors, chaque continent et chaque époque ont produit leurs propres interprétations, et aujourd’hui encore, les tatoueurs, les dessinateurs de manga et les développeurs de jeux vidéo s’approprient ce riche répertoire iconographique pour raconter des histoires contemporaines.
Ainsi, les artistes Wido De Marval et Jason « Softblacklines » Cavin unissent leurs talents au service d’une esthétique novatrice, peuplée de koïs en métamorphose et de dragons, créant des œuvres qui s’apparentent à de véritables récits narratifs.
C’est dans l’univers du tatouage que Wido et Jason se sont rencontrés. Tous deux sont liés à la célèbre famille Leu et bien que chacun développe son propre bestiaire fantastique, ils ont choisi de collaborer pour ce projet en produisant deux grandes toiles à quatre mains.
Profondément influencés par l’esthétique japonaise, ils nourrissent également une admiration pour l’art européen. C’est donc cette fusion de deux univers qui caractérise leurs œuvres, se distinguant par une maîtrise graphique exceptionnelle et un imaginaire qui nous entraîne dans des voyages empreints d’onirisme.
Entretien avec une experte – Dre. Stéphanie-Aloysia Moretti, co-curatrice du projet
Koï
Wido de Marval est un passionné de la nature et du Japon. Il puise son inspiration dans ces deux univers pour créer une esthétique novatrice. Son maître tatoueur japonais, Horiyoshi III, lui a attribué le surnom de Josui, qui signifie «comme l’eau » en japonais. Ce terme évoque l’idée d’une flexibilité et d’une force omniprésentes dans tous les aspects de la vie. À l’image de l’eau, il s’agit de pouvoir se transformer librement, car l’eau peut tantôt devenir glace, tantôt se vaporiser, tout en demeurant douce, à l’image de l’origine même de la vie. Les motifs Koï, qui lui sont chers, incarnent véritablement Josui.
Ces motifs de Koï sont peints avec un soin méticuleux et une finesse remarquable, dans un style qui, bien que nouveau, reste profondément ancré dans la mythologie japonaise et les contes populaires. Les Koï, représentés avec une précision exceptionnelle, témoignent de son observation aiguisée et de sa riche expérience dans ce loisir qu’est la pêche, qu’il pratique depuis son enfance. Le motif des Koï, signifiant « carpes » en japonais, l’a séduit par sa beauté et sa nature paisible.
Les Koï présentées ici sont une véritable symbiose entre les traditions japonaises et européennes. En effet, Héraclite, ce philosophe présocratique du Ve siècle avant notre ère, affirmait qu’on n’entre jamais deux fois dans le même fleuve, soulignant ainsi le fait que l’eau s’écoule et se renouvelle. Cette fluidité renouvelle également notre manière de percevoir le monde, brouillant notre vue et offrant à l’imaginaire une grande liberté pour envisager de folles métamorphoses.
Pour ce projet dédié aux chimères, Wido a invité son ami Jason « softblacklines» Cavin, et ensemble, ils ont créé deux œuvres où la feuille d’or sacralise leurs chimères, ajoutant une touche de préciosité et de mystère à leur art.
Chimères
Jason « Softblacklines » Cavin est un dessinateur et illustrateur qui est très lié au monde du tatouage. Après des études aux Arts décoratifs, il se spécialise à la HEAD et son exceptionnelle maîtrise du dessin lui a fait gagner le Prix Caran d’Ache.
Ses travaux personnels dévoilent son très riche univers intérieur alors que ses lettrages allient tradition et innovation qui offrent une esthétique cosy et trendy en des lieux variés attirant un public divers.
Pour ce projet, Jason a décidé de créer des chimères qui lient son admiration pour la tradition japonaise avec l’esthétique Art Déco. Il a choisi de créer des hybridations non seulement dans le monde animal, mais également d’imaginer des assemblages d’éléments végétaux avec des objets qui se métamorphosent.
L’imaginaire sans limite et la virtuosité du trait, telle est la manière dont nous pourrions qualifier l’art de Jason !
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Chrysomallos de Jeanne Tara
Hybrides et animaux Introduction par Dre. Coralie Debracque, co-curatrice du projet
Lorsque l’art s’intéresse aux créatures hybrides, la part animal permet d’interroger notre vision de l’Humanité. C’est voir l’Humain dans toute sa beauté mais aussi sa monstruosité.
Mais qu’est-ce qu’un animal?
Le mot animal vient du latin anima qui signifie “qui a un souffle, une âme”.
Pendant longtemps dans l’histoire des langues, l’animal a pu se distinguer de par sa forme sauvage. Au XIIe siècle, le mot deer (deor en ancien Anglais) a été utilisé pour désigner les animaux sauvages. Ce terme vient du proto-germanique deuzam, qui pourrait être lié au mot pré-germanique dheusom qui désigne les êtres qui vivent et qui respirent. En Allemand, cette forme fut gardée puis dérivée vers Tier. Au XIIIe siècle, c’est l’émergence de l’utilisation du mot “bête” (beste en vieux Français). Il vient du latin besta qui signifie “créature sauvage”.
Dès le XVIe siècle, “la bête” est remplacée par “l’animal” qui désigne aujourd’hui les animaux domestiques et sauvages, les espèces vivantes (Humain y compris) ou une personne hors du commun.
Entretien avec une experte – Jeanne Tara (artiste)
Créatures chimériques
Jeanne Tara s’intéresse au regard occidental sur la monstruosité et sur l’ambiguïté morale de certaines figures de la mythologie grecque comme la Méduse, le Cerbère et Chrysomallos. Décrites comme des créatures inspirant la peur et le rejet, ou que l’on convoite pour leurs richesses, elles sont toutefois les victimes de la violence des hommes que l’histoire a érigé en héros. Semi-humaines semi-animales, ces figures chimériques sont souvent représentées dans les œuvres classiques en position de faiblesse, d’effroi, de soumission ou en train d’être tuées.
Ici Jeanne Tara choisit de nous donner à voir l’instant qui succède à l’acte de violence : des masques aux yeux clos, sereins, en pleurs. À travers ces images, l’artiste questionne la xénophobie, qui au long de l’histoire a contribué à construire une image monstrueuse des minorités.
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La Gorgone de Marcello
Chimères revisitées - la gorgone Introduction par Dre. Stéphanie-Aloysia Moretti, co-curatrice du projet
Les sujets mythologiques sont repris par un grand éventail d’artistes qui tirent profit de l’aspect intéressant des créatures fantastiques pour élaborer une esthétique personnelle.
Adèle d’Affry, née à Fribourg et devenue par mariage la duchesse de Castiglione Colonna, s’est rapidement retrouvé veuve. Elle a ensuite fait une carrière d’artiste entre Rome et Paris, sous le pseudonyme masculin de Marcello. La virtuosité de l’élaboration de la Gorgone glorifie l’histoire de Méduse, superbe jeune femme à la chevelure de serpents, au contraire des traditionnelles représentations de Gorgone en créature hideuse.
Entretien avec une experte – Dre. Caroline Schuster Cordone (Musée d’art et d’histoire MAHF & Espace Jean Tinguely – Niki de Saint Phalle)
La Gorgone-Méduse
L’artiste fribourgeoise Marcello (Adèle d’Affry) incarne – par son parcours artistique et biographique (de 1836 à 1879) – le choix d’une vie riche et complexe, partagée entre une vie de représentation à la cour impériale de Napoléon III et Eugénie et la création solitaire à l’atelier.
L’œuvre de la Gorgone-Méduse lui a été inspirée par l’Air de la Gorgone de Lully. En l’écoutant, Marcello fit son portrait en terre pour réaliser ce qu’elle qualifiait de « tête de Gorgone, où la beauté se croisera avec le mépris et la fureur dans l’instant du défi et qui luttera avec la musique ».
La Gorgone-Méduse de Marcello n’est pas un monstre (comme elle est souvent représentée dans l’histoire de l’art). L’artiste s’attache à souligner sa fierté et ses traits androgynes comme l’attestent sa force physique, son plastron d’écailles, ses cheveux de serpents et de chimères. Contrairement à d’autres bustes de la sculptrice, ses yeux sont creusés pour rappeler la puissance du regard de son modèle.
Conformément aux souhaits de l’artiste, qui estimait que La Gorgone était l’une de ses créations-phares, cet exemplaire en marbre a rejoint les œuvres au sein du musée de sa ville natale. Le buste fait partie de la collection permanente présentée au MAHF (Musée d’art et d’histoire de Fribourg).
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Golem de Niki de St Phalle
Chimères revisitées - le golem Introduction par Dre. Stéphanie-Aloysia Moretti, co-curatrice du projet
Au XXème siècle, les artistes Niki De Saint Phalle et Jean Tinguely ont également puisé dans le répertoire mythologique pour réinterpréter des créatures fantastiques et leurs histoires.
Le Golem, dont le nom signifie tant informe qu’inachevé, est un être issu de la tradition hébraïque. Si le Golem de la bible n’est doué ni de parole, ni de raison, celui de Niki De Saint Phalle compense ces manques par une langue-toboggan qui permet au Golem de s’exprimer, non en mots, mais en laissant s’échapper des humains. Cette œuvre sur papier est le dessin préparatoire d’une sculpture qui se trouve à Jérusalem-Ouest agrémentant un jardin d’enfants.
Entretien avec une experte – Dre. Caroline Schuster Cordone (Musée d’art et d’histoire MAHF & Espace Jean Tinguely – Niki de Saint Phalle)
Le Golem
Voici le Golem de Jérusalem, une lithographie représentant l’un des projets architecturaux de Niki de Saint Phalle, qui témoigne de ses inspirations comme les constructions d’Antonio Gaudí (notamment le Parc Güell) mais aussi le Palais idéal du Facteur Cheval ou encore les Watts Towers de Simon Rodia.
En hébreu, Golem signifie : « embryon », « informe » ou « inachevé ». C’est une figure importante de la mystique juive : un être artificiel, généralement humanoïde, fait d’argile et incapable de parole. Niki de Saint Phalle reprend cette figure et en fait un monstre informe comme preuve de la vanité de l’être humain qui a la prétention d’imiter Dieu.
La lithographie du Golem a été conçue pour être intégrée dans un coffret contenant un ouvrage sur la sculpture monumentale réalisée pour le Parc Rabinovitch de Jérusalem.
Le projet architectural avait des implications interreligieuses : sur le chantier, Saint Phalle réunit des ouvriers juifs, musulmans et chrétiens et les trois toboggans rouges évoquaient, pour elle, les trois religions monothéistes.
Le Golem possède aussi un rôle thérapeutique. Se basant sur les écrits de Bruno Bettelheim évoquant la puissance des contes, l’artiste souhaitait que son monstre contribue à la métamorphose des enfants venus s’y amuser : habités tout d’abord par la peur du monstre, ils apprenaient à l’apprivoiser pour la surmonter et venir y jouer. Le Golem est, pour Niki de Saint Phalle, l’incarnation de nos peurs mais aussi de nos forces pour les vaincre.
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- Radio France, Bienvenue dans le monde des créatures fantastiques
- Radio France, Le Golem et ses métamorphoses
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Cyclop de Jean Tinguely
Chimères revisitées - le cyclope Introduction par Dre. Stéphanie-Aloysia Moretti, co-curatrice du projet
Le Cyclop de Jean Tinguely est également le dessin préparatoire d’une œuvre gigantesque qui se trouve dans la forêt de Fontainebleau. Cette sculpture animée dont l’œil unique est doué d’une grande amplitude de mouvement, ce qui compense son unicité. Si dans la mythologie, le cyclope est anthropophage, ce Cyclop rend hommage aux déportés et à l’amitié en célébrant les repas entre amis dont on peut encore voir les restes en une œuvre dans l’œuvre par Daniel Spoerri.
Entretien avec une experte – Dre. Caroline Schuster Cordone (Musée d’art et d’histoire MAHF & Espace Jean Tinguely – Niki de Saint Phalle)
Le Cyclop
Cette sérigraphie évoque l’œuvre monumentale de Jean Tinguely, Le Cyclop, une sculpture gigantesque située à Milly-la-Forêt, près de Paris (Essonne, Île-de-France).
La tête de l’imposant monstre, haute de presque 23 mètres, dévoile aux visiteuses et visiteurs qui la pénètrent un labyrinthe rythmé de nombreuses créations artistiques réalisées par Tinguely et ses amis artistes. On y découvre un œil unique, une bouche d’où coule de l’eau sur une langue en forme de toboggan et une oreille de fer, à l’écoute des arbres et des êtres vivants.
Initialement appelée La Tête ou Le Monstre dans la Forêt, l’œuvre deviendra Le Cyclop (sans e). Elle présente à celle et à celui qui s’en approche un visage aux mille miroirs, réalisé par Niki de Saint Phalle, qui reflète la lumière et la forêt environnante.
Ce n’est qu’après le décès de Jean Tinguely que le Cyclop fut ouvert au public, en mai 1994, inauguré par François Mitterrand, Président de la République. Niki de Saint Phalle (seconde épouse de Jean Tinguely) décida alors que le projet était terminé et qu’il n’allait plus accueillir d’autres œuvres.
Le Cyclop n’est pas l’œuvre du seul couple Tinguely/Saint Phalle. Il s’agit d’une véritable aventure collective, nourrie d’utopies et d’amitiés. On y rencontre les créations des compagnes et compagnons de route de Jean Tinguely comme Bernhard Luginbühl, Eva Aeppli, Daniel Spoerri, Rico Weber, Jean-Pierre Raynaud et bien d’autres. De nos jours encore, le Cyclop ne cesse de fasciner et d’inspirer des artistes contemporains.
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- Radio France, Âmes sœurs, Saint Phalle et Tinguely
- Radio France, Le Cyclop, Bienvenue dans le Bois des Pauvres
- Radio France, Touchez pas au Cyclope !
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Les Métamorphoses par Cécile Reims
Les métamorphoses Introduction par Dre. Stéphanie-Aloysia Moretti, co-curatrice du projet
Entre 1957 et 1958, la graveuse Cécile Reims a décidé d’illustrer le texte d’Ovide de 15 œuvres à la taille-douce. Les positions et les regards de ces créatures mi-humaines mi-animales intensifient le sentiment d’étrangeté qui en est dégagé. Par le jeu des vides et des pleins, elle met en lumière certaines parties spécifiques de ces corps dont le passage entre les genres accentue la fluidité et rappelle que pour les Grecs, tout être animé faisait partie du zôon, d’une même espèce donc qui rappelait combien subtile est la frontière entre l’humain et l’animal.
Lorsqu’au tournant de notre ère Ovide rédige son ouvrage, il ne veut pas s’intéresser à la politique du temps mais à l’essence du vivant. Il crée un mot nouveau Métamorphose (après la forme), qu’il utilise comme titre de son ouvrage dont le but est de revisiter les mythes grecs et de les faire connaître aux romains.
Ce thème de la métamorphose, Ovide l’interprète dans la suite d’Héraclite qui écrivait qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve car l’eau change et n’est jamais la même. De même Ovide écrit qu’aucun corps ne conserve sa forme primitive, car la nature renouvelle les choses et substitue des formes nouvelles à d’autres formes. Il poursuit en rappelant que la naissance n’est qu’un changement d’état, de même que la mort, mais que la matière, elle, demeure.